Les étudiantes et étudiants utilisent les nombres réels depuis le lycée sans qu’on ne leur ait jamais parlé du fait qu’ils sont à la fois une invention récente dans l’histoire des mathématiques, ni que leur existence a posé et continue à poser de sérieux problèmes. L’un des buts de cette UE est de leur montrer comment on peut solidement en fonder la théorie. Le cours peut se limiter à donner des définitions (ordre, corps etc.) ainsi que quelques démonstrations ou constructions afin de montrer l’unité du tout et ses articulations internes. Le reste peut se faire sous la forme d’exercices et de problèmes dont on extrait, avec les étudiant.e.s, de quoi remplir un fascicule de résultats. La deuxième partie du cours peut déboucher sur de multiples développements à faire en travaux dirigés, autour par exemple de l’approximation des nombres réels (écritures en base ou fractions continues etc.), ou de certaines constructions intrigantes (ensembles de Cantor, fonction de Weierstraß etc.) ou des démonstrations classiques de transcendance de e et de π mêlant arithmétique et analyse.
Objectifs de l’UE.
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L’existence des nombres réels semble pour nos étudiants et étudiantes un acquis qu’il n’est plus utile de questionner. Le premier objectif est de leur faire prendre conscience que ces objets sont plus problématiques qu’il n ’y parait. La sensibilité aux questions qui nous semblent résolues est à la base de la démarche scientifique.
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La méthode axiomatique est au fondement de la pratique des mathématiques ; cependant jamais ou presque nos étudiantes et étudiants n’y sont confrontés. Autour de l’objet familier qu’est le corps ℝ des nombres réels, il sera vu comment le choix d’un petit nombre d’énoncés d’apparence simple peut aboutir rapidement à la démonstration de théorèmes avancés de l’analyse mathématique mais a aussi pour conséquences quelques énoncés admis très tôt dans la scolarité. Cela sensibilise les étudiants et étudiantes à l’unité de la discipline.
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L’utilisation des méthodes et concepts abstraits de la théorie des ensembles est au cœur de la pratique contemporaine des mathématiques. La construction des nombres réels est l’occasion de les mettre en pratique en en montrant à la fois la puissance tout en démystifiant certaines notions comme celle de quotient dont on montrera qu’elle n’est qu’un procédé tautologique permettant de démontrer l’existence de certains objets ayant les propriétés que l’on désire.
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La rédaction est l’étape finale de l’activité principale du mathématicien ou de la mathématicienne et une attention particulière sera apportée aux progrès des étudiantes et des étudiants dans ce domaine, par exemple lors de la rédaction commune d’un fascicule de résultats.
Programme
Première partie : l’approche axiomatique.
On considère ici que ℝ est un corps totalement ordonné, archimédien et complet, sans se préoccuper de savoir comment ou à partir de quoi on peut le construire. On l’introduit donc comme modèle d’une axiomatique.
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Axiomes de la structure de corps. Quelques conséquences (unicité des éléments neutres ou des opposés, identités remarquables, binôme etc.).
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Les axiomes de corps ordonné. Quelques conséquences (positivité des carrés, opposés des positifs, valeur absolue etc.).
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La propriété d’Archimède, formes équivalentes de son énoncé (par exemple lim+∞n-1 = 0).
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Choix d’un axiome pour la complétude : toute suite croissante et majorée converge. On admet qu’il existe un corps totalement ordonné, archimédien et complet, on le note ℝ.
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Le corps des nombres rationnels est naturellement sous-corps de ℝ. Existence de nombres irrationnels (par exemple ou e).
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À partir des axiomes (corps, ordre total, propriété d’Archimède, convergence des suites croissantes et majorées), redémontrer quelques résultats de base comme le théorème des segments emboîtés et le théorème de Bolzano–Weierstraß. Théorème des valeurs intermédiaires, application à l’existence de racines carrées (ainsi est un nombre réel).
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Le critère de Cauchy. Toute suite de Cauchy est convergente. On peut donc démontrer qu’une suite converge sans connaître a priori la valeur de sa limite.
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Si x ∈ℝ est tel que ∀ϵ > 0,|x|< ϵ, alors x = 0. Borne supérieure d’une partie, caractérisations. Démonstration de la propriété de la borne supérieure.
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Notion de coupure de ℝ : partition (G,D) telle que pour tout x ∈G et tout y ∈D on ait x < y. La propriété de complétude par coupure de ℝ : pour toute coupure (G,D), il existe un nombre réel x et un seul tel que G =]-∞,x[ ou G =]-∞,x].
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Liens logiques entre les divers énoncés de complétude. Borne sup (BS) implique Archimède (A) et convergence des suites croissantes majorées (CSCM). Équivalence entre la complétude par coupure (CC) et (BS). Convergence des suites de Cauchy (CSC) et (A) impliquent (BS) etc. Sensibiliser les étudiant.e.s au fait que l’on dispose d’une certaine latitude dans le choix des axiomes.
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Énoncé du théorème d’Ostrowski : il y a un seul corps totalement ordonné, archimédien et complet, à unique isomorphisme près. Nous sommes donc en droit de parler du corps des nombres réels.
Deuxième partie : constructions de ℝ.
On propose ici une ou deux constructions ensemblistes de ℝ, en partant des entiers naturels.
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L’ensemble ℕ, la propriété fondamentale de l’ordre sur les entiers (notion de bon ordre), équivalence avec la validité du principe de démonstration par récurrence.
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Construction par symétrisation de ℤ, puis de ℚ.
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Première construction : les coupures de Dedekind.
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Deuxième construction : la complétion par les suites de Cauchy.
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L’écriture décimale illimitée et la nécessité de sa non-unicité. Caractérisation des nombres rationnels. Existence de nombres transcendants par la méthode de Liouville.
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Non dénombrabilité des intervalles : preuve via l’écriture binaire ou décimale et l’argument diagonal, preuve originale de Cantor via les segments emboîtés, preuve par l’inclusion du triadique de Cantor et l’indénombrabilité de (ℕ).